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Boubacar Boris DIOP

​​​​​​​Texte choisi : " Moche comme une guenon ", extrait du roman Les petits de la guenon

I- Présentation de l'auteur : De nationalité sénégalaise, Boubacar Boris Diop est un écrivain de renommée internationale. " Lauréat du prix Grand prix de la République du Sénégal pour les Lettres en 1990 avec Les Tambours de la mémoire, Boubacar Boris Diop a aussi été distingué en 2018 par le " Harold and Stellfox Award" de Dickinson University pour l'ensemble de son oeuvre.

Classé parmi les 100 meilleurs livres africains du vingtième siècle par le " Zimbabwe International Book Fair", Murambi, Le livre des ossements vient de remporter à l'unanimité des membres du jury, le prestigieux " Neustadt International Prize of Litterature" de l'Université d'Oklahoma et de la revue World Litterature Today.

Auteur de plusieurs romans en français et en wolof, Boubacar Boris Diop a fondé à Dakar EJO-Editions qui publie des oeuvres écrites dans les langues nationales sénégalaises."

Son roman Doomi Golo, publié en 2003, a été traduit en français à travers le titre Les petits de la guenon.

Source principale : Quatrième de couverture de Murambi.

 

II- Texte : Moche comme une guenon

Un matin parmi tant d'autres dans la vie de Yacine Ndiaye à Niarela.

L'envie a dû lui prendre subitement de flâner le long de la rue principale, celle où, assis en petits groupes près des ateliers ou sur le Seuil des maisons, jouant aux dames ou écoutant la radio, nous sommes, sans en avoir l'air, à l'affût du moindre incident dans le quartier, du bon petit scandale à raconter et à amplifier.

Yacine Ndiaye est en grande toilette, maquillée et parfumée. Un des apprentis du garage de Pape Kandji marche derrière elle, mimant avec drôlerie chacun de ses gestes. Dès qu'elle semble vouloir se retourner, le gamin se compose l'attitude d'un passant ordinaire. Son manège nous amuse beaucoup.

" La voici, lance quelqu'un.

- C'est elle.

- L'étrangère.

- Moche comme une guenon. Je me demande comment Assane Tall a pu l'épouser.

- Tu crois, toi, qu'ils étaient mariés ?

- Ils vivaient en concubinage.

Ils vivaient dans le péché.

- Ce péché-là, Dieu ne le pardonne jamais ! conclut méchamment un autre.

- Savez-vous ce que dit Wolof Njaay ?

- Quand un Toubab a la peau noire, c'est toujours un Toubab et demi ...

- C'est bien, ce que dit Wolof Njaay !"

C'est à croire que Yacine Ndiaye est à elle seule une force d'invasion étrangère et Niarela un petit pays sans défense. Sait-elle à quel point nous la haïssons ? Il me paraît impensable qu'elle ne se doute de rien. Elle choisit de nous mépriser, s'en allant de son pas hautain, l'air altier, le visage fermé.

Pourtant, ce matin, elle s'arrête pour parler pendant quelques minutes avec Thierno, le vendeur de journaux.

" Un journal qui s'appelle Marie Claire ?lui dit Thierno en se grattant la tête. Celui-là, je ne le connais pas."

Après un moment de réflexion, il ajoute :

" Je vais demander à mes amis s'ils l'ont et je te l'apporterai à la maison.

- Merci, mais ce n'est pas la peine, répond Yacine Ndiaye.

- Marie Claire ... Marie Claire ? fait encore Thierno, conscient d'être depuis deux ou trois minutes le point de mire de tout Niarela.

- C'est mon journal préféré, répond Yacine Ndiaye. Je le lisais en France. "

Le rusé Thierno comprend qu'il tient là une occasion unique d'en savoir un peu plus sur l'étrangère et ne la lâche pas :

" Ainsi donc tu vivais en France ? fait-il d'une voix admirative.

- J'y vis encore, rectifie fièrement Yacine Ndiaye. Je suis restée à Dakar pour régler quelques petits problèmes mais je vais rentrer chez moi bientôt.

- Tu vas retourner là-bas ? reprend Thierno d'un air faussement incrédule.

- Mes valises sont prêtes, réplique Yacine Ndiaye.

- Il paraît que c'est merveilleux, là-bas ... Avant-hier un ami m'a dit quelque chose à propos du pays des Toubabs."

Yacine Ndiaye est vivement intéressée :

" Que t'a-t-il dit ?

- Un touriste m'a offert un gros billet de banque après avoir acheté plusieurs de mes journaux.

- Et alors ?

- J'étais content et j'ai dit au touriste : Que Dieu t'emmène au paradis ! " Alors mon ami s'est moqué de moi en me disant que le Toubab allait s'y ennuyer.

- Ah oui ? fait Yacine Ndiaye un peu perdue.

- Oui, puisqu'il a déjà connu toutes les joies du Paradis sur terre, il ne va rien découvrir de nouveau là-haut ! "

Yacine Ndiaye sourit et dit :

" Oui, c'est un pays magnifique. On ne manque de rien en France."

Après une courte pause, elle ajoute avec un petit sourire taquin, sans cesser de dévisager Thierno :

" Je parie que tu veux y aller, toi aussi ...

- Oui, comme tout le monde. Je rêve de m'envoler avec l'oiseau. "

Yacine Ndiaye fronce les sourcils :

" T'envoler avec l'oiseau ? Quel oiseau ... ?

Thierno étend les deux bras, les fait battre comme les ailes d'un épervier et se met à tourner autour de lui-même en grondant.

Yacine Ndiaye comprend qu'il est en train d'imiter un avion et éclate de rire. C'est la première fois que nous la voyons rire en public.

Après cette conversation avec l'étrangère, Thierno fut bien évidemment assailli de questions les jours suivants. Sa réponse fût toujours la même :

" Cette femme est folle. Je l'ai bien observée et je vous jure qu'elle est folle."

Il se taisait un instant avant de répéter, en hochant la tête d'un air effaré, s'adressant plus à lui-même qu'à ses interlocuteurs :

" Demain, cela se saura qu'elle est folle. Mais n'oubliez pas que je suis, moi Thierno, le premier à l'avoir dit ici devant vous tous à Niarela."

                                   Boubacar Boris Diop, Les petits de la guenon, Editions Philippe Rey, 2009, Pp 249-251.

 

III- Quelques axes de lecture

- Yacine Ndiaye et le vendeur de journaux : deux conceptions opposées du monde

- Yacine Ndiaye, une étrangère chez elle : les marques de l'aliénation

- L'adverbe de manière en-ment

- Les marques du dialogue

- La formation des mots : le préfixe et le suffixe

-Repérage et interprétation de figures de style : comparaison, métaphore, répétition, métonymie, antithèse, gradation, hyperbole, etc.

- L'adjectif qualificatif

- Le participe présent et le gérondif

 

IV- Insistons sur :

1-Le participe présent et le gérondif

Quel que soit le groupe du verbe, le participe présent se termine par -ant.

Exemple : " s'adressant plus à lui-même qu'à ses interlocuteurs "

- Le gérondif est la locution formée par la préposition en et le participe présent.

Exemple : " en me disant que le Toubab allait s'y ennuyer"

 

2- La formation des mots

- Le préfixe : Placé devant le radical du mot, le préfixe est une particule qui donne au mot un nouveau sens.

Exemple : " impensable"

- Le suffixe : Placé après le radical du mot, le suffixe est une particule qui donne au mot un nouveau sens.

Exemple : " concubinage"

 

3- La gradation ordonne les termes d’un énoncé selon une progression (en taille, en intensité). Elle produit un effet de zoom. Elle peut tendre à l’hyperbole.

Exemple : " Thierno étend les deux bras, les fait battre comme les ailes d'un épervier et se met à tourner autour de lui-même en grondant."

4- Le dialogue renvoie aux paroles que deux pu plusieurs personnages échangent. E changement d’interlocuteur est indiqué par un tiret.

Exemple : " - C'est elle.

- L'étrangère.

- Moche comme une guenon. Je me demande comment Assane Tall a pu l'épouser.

- Tu crois, toi, qu'ils étaient mariés ?"

 

5- La fonction de l’adjectif qualificatif

- Quand l’adjectif qualificatif est placé immédiatement à côté du nom auquel il se rapporte, il est dit épithète lié.

Exemple : " une voix admirative."

- Quand l’adjectif qualificatif est relié au sujet par un verbe d’état (paraître, sembler, être, devenir, trouver, avoir l’air, etc.)

Exemple : "elle est folle"

19/12/2021

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Date de dernière mise à jour : mercredi 22 décembre 2021