#sunumbir : c'est notre affaire ! 

"Un nostalgique souvenir" de Nafissatou Diallo

Texte cent huitième

 I- Présentation 
De Tilène au Plateau, une enfance dakaroise est un roman de Nafissatou Diallo ( 1941-1981) publié en 1975 aux Nouvelles Éditions Africaines du Sénégal.

II - Texte choisi : Un nostalgique souvenir
Je suis née à Tilène au Camp des Gardes le 11 mars 1941. Ne cherchez pas le Camp : il est devenu le stade Iba Mar Diop. Notre maison de famille était une des rares habitations civiles dans cette enceinte d'où les gardes veillaient sur la Médina et ses environs.
Le Camp était entouré par un mur avec deux ouvertures : une au nord, une au sud, qui servaient de portes d'entrée et de sortie. Ce mur l'isolait de son entourage constitué de cases, de baraques parfois groupées dans le plus grand désordre avec des rues étroites, sablonneuses, grouillantes de monde et d'animaux domestiques.
A l'intérieur du Camp régnait l'harmonie. Les cabanes des policiers, petites maisons en bois, peintes en jaune, étaient alignées dans un ordre parfait. Il y avait des cocotiers, des potagers bien entretenus qui nous fournissaient des légumes. Le calme, la sérénité et la simplicité du paysage s'apparentaient au charme tranquille de notre maison.
Elle était en dur, très grande et avait été construite par mon grand-père et mon père qui dirigeaient une entreprise où travaillaient presque tous les hommes de la famille. Mes oncles, mes cousins et mes frères participèrent à l'édification de notre maison. Ils lui façonnèrent sa physionomie.
Pas un centimètre de parquet qu'ils n'aient cimenté; pas une porte qui ne soit sortie de leurs mains. Nous l'aimions pour l'avoir faite. Nous lui étions attachés parce qu'elle était dans le grand monde notre petit univers, notre station d'ancrage, notre élément de stabilité.
Des chambres spacieuses, des plafonds hauts, des fenêtres géantes, aussi grandes que des portes, de l'espace partout : la maison donnait cette envie de courir, de sauter, de crier, dont je garde un nostalgique souvenir.
Elle comprenait deux parties bien distinctes. Le bloc nord était réservé à Père et à ses hôtes de passage. Je résidais dans le bloc sud avec mon grand-père et ses deux épouses - l'une était ma grand-mère - mes sœurs, frères, oncles, tantes, cousins et cousines.
La cour immense était plantée d'arbres fruitiers de toutes sortes : manguiers, grenadiers, cocotiers, goyaviers, papayers. Elle rappelait une ferme par ses innombrables animaux domestiques : poulaillers remplis de poules, de coqs, de canards; enclos de moutons et chèvres; chats qui revenaient sans cesse malgré la méchanceté des enfants à leur égard.
La maison disposait aussi de deux grandes vérandas qui, plus qu'aucune autre pièce, virent nos peines et nos joies; nos repas y étaient partagés, nos réunions s'y tenaient. Elles servaient d'abri aux nombreux villageois venus chercher du travail dans la capitale. C'est là que nous nous réunissions le soir, après les repas, grelottant de froid ou transpirant selon les saisons, éveillés ou luttant contre le sommeil. C'était là que nous écoutions, émus ou exaltés, les contes et légendes que nous racontait ma grand-mère.
- "Lèebón", disait-elle.
-" Lippón", répondions-nous en chœur.
- " Amon na fi", reprenait-elle.
- " Dana am", répondions-nous.
- " Kumba am ndéy àk Kumba amul ndéy."
C'était notre conte favori. Nous le réclamions souvent. Parfois, c'était la légende de " Leuk Daour", le cheval uni-jambe, génie de la ville qui, disait-elle, galopait sous les fenêtres les jeudi et dimanche soir à partir de minuit. Nous le craignions. Aucun d'entre-nous n'osait s'aventurer dehors après les prières du soir, ces deux nuits-là.
Je tiens à insister sur l'atmosphère qui régnait alors dans nos familles. L'union, la solidarité, c'est peu; on les retrouve encore. Ce qui est devenu plus rare, c'est la droiture, l'honnêteté, le respect mutuel et la piété fervente qui nous étaient enseignés autant par les préceptes que par l'exemple.
Peut-être ne voyions-nous que la surface des choses, mais il me semble bien que ces qualités-là orientaient nos rapports.
Je prie pour mes parents disparus; je leur suis reconnaissante de l'éducation qu'ils m'ont donnée et j'essaie, avec plus de philosophie et, certes, moins de rigueur, de faire suivre cette voie à mes enfants.
                                     Nafissatou Diallo, De Tilène au Plateau, NEA, 1975.
III- Quelques axes de lecture
- Une description minutieuse teintée d'histoire
- Une solidarité familiale
- Les valeurs des temps verbaux : imparfait de l'indicatif, passé simple, plus-que-parfait, etc.
- Importance accordée aux contes
- La perte des valeurs
- Repérage et interprétation de figures de style : antithèse, parallélisme, pléonasme, etc.
- Un devoir de gratitude vis-à-vis de ses parents

Bon dimanche à tous !
12/06/2016

Image 127

1 vote. Moyenne 5.00 sur 5.

Ajouter un commentaire

Date de dernière mise à jour : lundi 13 juin 2016