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Un tombeau pour Kinne Gaajo

Texte choisi : L’incipit du roman Un tombeau pour Kinne Gaajo

  1. Présentation du texte :

Lauréat du prix Grand prix de la République du Sénégal pour les Lettres en 1990 avec Les Tambours de la mémoire,  Boubacar Boris Diop a aussi été distingué en 2018 par le  " Harold and Stellfox Award" de Dickinson University pour l'ensemble de son œuvre.

Le " Zimbabwe International Book Fair" l’a classé parmi les 100 meilleurs livres africains du vingtième siècle.  Murambi, Le livre des ossements a remporté à l'unanimité des membres du jury,  le prestigieux " Neustadt International Prize of Litterature" de l'Université d'Oklahoma  et de la revue World Litterature Today.

Auteur de plusieurs romans en français et en wolof,  Boubacar Boris Diop a fondé à Dakar  EJO-Editions qui publie des œuvres écrites dans les langues nationales sénégalaises."

Son roman Doomi Golo, publié en 2003, a été traduit en français à travers le titre Les petits de la guenon.

En 2017, il publia le roman Bàmmeelu Kocc Barma dont la version française intitulée Un tombeau pour Kinne Gaajo vient de paraître aux éditions Philippe Rey (2024).

Source principale : Quatrième de couverture de Murambi.

  1. Texte :

           Je n’aime rien autant qu’une tasse de café chaud tôt le matin. Ça me fait du bien de sentir, avant même d’y goûter, son arôme embaumer la pièce et taquiner mes narines. J’anticipe ce plaisir l’instant même où dès mon réveil, toujours aux aurores, je pose la cafetière sur le fourneau et l’y oublie pendant une ou deux minutes. Lorsque mon esprit s’arrête sur l’eau en train de bouillir, j’ai l’impression d’entendre une jeune lavandière chantonner au bord du fleuve, sa voix comme reprise en écho par les chants quasi métalliques des oiseaux du quartier : « ci-ri-pi-ci-ri-pi-pi » Le café moulu que j’y verse à ce moment-là répand aussitôt son parfum dans l’air. Alors de tous mes pores s’exhale un tel sentiment de plénitude que je me surprends à murmurer : « Libre à Dieu de faire ce qu’il veut de cette journée. Il peut la laisser poursuivre son cours imprévisible ou l’arrêter net à cet instant même, peu m’importe, je trouve déjà la vie si belle ! »

          Après vient la première gorgée à la fois si douce et amère pour les papilles. J’aime la sentir me réchauffer lentement les entrailles et les dénouer peu à peu. Lavazza, Segafredo et Tirma sont mes marques préférées. J’avais pu y ajouter le pot de Malongo, que je m’empresse d’acheter chaque fois que je tombe dessus. Sauf que le Malongo est quasi introuvable dans les supermarchés de Dakar. C'est, avec les trois autres dont je viens de vous parler, ce que j’appelle du vrai café. Rien à voir avec cette poudre noire que l’on dirait plastifiée et qu’il faut laisser dissoudre dans de l’eau chaude et sucrée. Elle a un goût affreux qu’on ne peut la boire sans grimacer comme un gamin à qui on fait avaler de force une cuillerée de tulukuna. Et dire qu’il y a des gens qui raffolent de cette horrible mixture ... J’ai du mal à comprendre pourquoi certaines personnes tiennent tant à s’infliger d’inutiles désagréments.

          Nous sommes lundi aujourd’hui et je me suis mise à ma table de travail quelques minutes avant le premier appel du muezzin. Je me lève toujours avant Bàrtélémi et, pour ne gâcher son sommeil, je passe la nuit au bord du lit. J’évite ainsi de sauter par-dessus le corps de mon bien-aimé mari au moment de quitter la chambre à coucher. Je suis d’ailleurs sûre que dans une demi-heure, il va débouler dans cette pièce que j’ai transformée en bureau pour me demander où j’en suis avec la biographie de Kinne Gaajo sur laquelle je peine depuis plusieurs mois. Il me semble toujours percevoir une discrète ironie dans la voix de Bàrt quand il me parle de ce travail que je me suis imposé toute seule, comme une grande. Quelque chose du genre : qu’est-ce qui te prend de vouloir raconter la vie de Kinne Gaajo alors que rien ne t’a jamais préparée à l’écriture ? Ou c’est peut-être moi-même qui me fait des idées, ce qui prouverait à quel point je manque de confiance en mes capacités. Après m’avoir quelque peu perturbée, Bàrt prendra le chemin de sa banque au centre-ville. En dehors de son travail, mon mari ne s’intéresse qu’au football et à la politique mais dans le second cas c’est surtout pour se moquer de ces pitres prêts à toutes les bassesses, sous toutes les latitudes, pour un peu de pouvoir. Hier soir, il a déversé sa bile sur Donald Trump. À l’en croire, le président américain élu il y a quelques jours n’a pas toute sa tête » Tu as remarqué sa manie de répéter chaque phrase comme s’il était dans un état second ? »  Et que dire de ses gestes désordonnés, de ses roulements d’yeux faisant penser à nos élégantes diryànke en mode séduction ? Eh bien, ma chérie, le bonhomme n’est-il pas un peu douteux quand même ...? » C’est bien mon Bàrtélémi Gómis, il ne prend rien au sérieux.

           En face de moi, sa photo et celle de Xadi-Leena. Xadi-Leena., notre fille trop tôt partie. De son vivant, nous l’appelions tous Yelen.

           Par moments, mes yeux restent fixés sur ces images déjà un peu vieillies et elles font resurgir, telles des taches grises sur la page blanche de ma mémoire, certaines heures difficiles de notre passé.

La troisième photo, la plus grande et bien en évidence, est celle de Kinne Gaajo. Celle-là même que j’ai décidé de faire connaître. Ou plutôt de mieux faire connaître. Mais à qui ? J’ai envie de répondre, quitte à paraître quelque peu prétentieuse : au monde entier.

                                                 Boubacar Boris Diop, Un tombeau pour Kinne Gaajo, Philippe Rey, 2024.

  1. Quelques axes de lecture

- La distinction entre l'auteur et le narrateur

- Système énonciatif : de quoi parle la narratrice ? De qui parle-t-elle ?

- La formation des mots : le préfixe, le radical, le suffixe

- L’accord du participe passé employé avec l’auxiliaire « avoir »

  1. Insistons sur :
  1. Distinction entre l’auteur et le narrateur :

Est considéré comme l'auteur du roman celui qui a imaginé l'intrigue.

Le narrateur raconte l'histoire.

  1. La formation des mots
  • L'élément de base d'un mot est appelé radical.
  • La préfixation : On ajoute un préfixe devant le radical du mot.

Exemples : «  s'infliger d'inutiles désagréments. »

« elles font resurgir »

  • La suffixation : On ajoute un suffixe à partir d'un nom, d'un adjectif ou d'un verbe.

Exemples : « ses gestes désordonnés. »

« quasi introuvable »

  1. Accord du participe passé employée avec l'auxiliaire « avoir »

Le participe passé est une forme impersonnelle (non conjugué)  du verbe.

Le participe passé employé avec l'auxiliaire « avoir » ne s'accorde pas avec le sujet. Il s'accorde quand le Complément d'Objet Direct est placé avant lui.

Exemples : «  dans cette pièce que j’ai transformée »

« qu’est-ce qui te prend de vouloir raconter la vie de Kinne Gaajo alors que rien ne t’a jamais préparée à l’écriture ? »

  1. L'adjectif possessif sert à désigner l'être ou l'objet possédé par un o plusieurs possesseurs.

L'adjectif possessif s'accorde avec la personne et avec le genre de l'objet possédé.

Exemple : « En dehors de son travail, mon mari ne s’intéresse qu’au football et à la politique »

 

Dimanche 28/04/2024

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Date de dernière mise à jour : mardi 30 avril 2024