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Lilyan Kesteloot

Texte cent quatre-vingt-huitième

Texte choisi : « La question des langues étrangères » de Lilyan Kesteloot

  • Présentation de l’auteur : Lilyan Kesteloot ( 1931-2018) est une chercheuse belge, pionnière dans l’étude de la littérature négro-africaine d’expression française.

Elle fut Professeur à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar,  directrice de recherches à l’IFAN , etc.

Source : Wikipedia

  • Texte :

Le troisième problème majeur qui se pose aux écrivains noirs est celui de la langue. Il est assez simple de comprendre pourquoi ils ont commencé à écrire dans les langues étrangères. Comme l’a justement dit Jean-Paul Sartre, ils ont utilisé la langue de leurs colonisateurs – « ne croyait pas qu’ils l’aient choisie » - et ce, pour se faire plus largement entendre. De plus les masses africaines ne sachant pas lire, on ne les aurait pas atteintes beaucoup plus en écrivant dans leurs langues. Enfin les éditeurs européens ne s’intéressent évidemment qu’à des œuvres écrites en  langues européennes. Et il est vrai que ce sont le français et l’anglais qui ont permis aux intellectuels colonisés d’exposer leurs problèmes devant le monde entier, et il n’est pas question qu’ils renoncent à ces langues de communication internationale, à la francophonie entre autres.

Mais aujourd’hui se créent des maisons d’édition au Nigeria, au Ghana, au Kenya, au Cameroun. Aujourd’hui grâce à l’alphabétisation intensive, un public africain populaire s’est constitué et s’accroît sans cesse. Aujourd’hui la littérature écrite n’est plus le monopole des universitaires ayant fait leurs études en Europe. Des Africains d’instruction primaire se mettent à écrire, de plus en plus nombreux, et dans un français douteux ou dans un anglais voisin du pidgin. On ne peut dés lors s’empêcher de penser que ceux qui ont du talent s’exprimeraient mieux dans leurs langues maternelles. Le cas le plus flagrant est celui d’Amos Tutuola : si je reconnais volontiers avec J. Jahn et Raymond Queneau que l’univers de ce planton de Lagos est rempli de la mythologie africaine la plus authentique, je regrette aussi, avec les lettrés nigérians, la bâtardise d’un langage qui n’est ni anglais, ni africain. Tutuola écrivant en Yoruba ferait des merveilles, c’est certain, et nous donnerait des œuvres plus authentiques encore, plus purement nègres, que l’on pourrait toujours traduire par la suite comme on l’a déjà fait pour le célèbre Chaka (1925) du Sotho Thomas Mofolo.

Enfin faut-il encore insister sur l’irréparable perte que constituerait, pour les cultures africaines, l’abandon des langues nationales ? Tout un domaine de sensibilité de l’homme ne peut s’extérioriser que dans la langue maternelle. C’est la part inviolable, particulière, intraduisible de toute culture. L’homme africain ne peut renoncer à ses idiomes traditionnels sans ressentir une amputation grave de sa personnalité.

Lilyan KESTELOOT, Anthologie négro-africaine, Edicef, 1992.

  • Quelques axes de lecture
  • Distinguer l’essentiel de l’accessoire
  • Etablir la progression des idées
  • Encadrer les connecteurs logiques

04/03/2018

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