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" Westwego" de Philippe Soupault

Texte cent soixante-seizième

I- Présentation de l'auteur : Philippe Soupault ( 1897-1990) fut avant d'être surréaliste. Avec André Breton, ils écrivirent Les Champs magnétiques en 1920. Un an auparavant, Breton, Soupault et Aragon ont fondé la revue Littérature. 
II- Texte :
[...]
Etrange voyageur voyageur sans bagages
je n’ai jamais quitté Paris
ma mémoire ne me quittait pas d’une semelle
ma mémoire me suivait comme un petit chien
j’étais plus bête que les brebis
qui brillent dans le ciel à minuit
il fait très chaud
je me dis tout bas et très sérieusement
j’ai très soif  j’ai vraiment très soif
je n’ai que mon chapeau
clef des champs clef des songes
père des souvenirs
est-ce que j’ai jamais quitté Paris
mais ce soir je suis dans cette ville
derrière chaque arbre des avenues
un souvenir guette mon passage
C’est toi mon vieux Paris
mais ce soir enfin je suis dans cette ville
tes monuments sont les bornes kilométriques de ma fatigue
je reconnais tes nuages
qui s’accrochent aux cheminées
pour me dire adieu ou bonjour
la nuit tu es phosphorescent
je t’aime comme on aime un éléphant
tous tes cris sont pour moi des cris de tendresse
je suis comme Aladin dans le jardin
où la lampe magique était allumée
je ne cherche rien
je suis ici
je suis assis à la terrasse d’un café
et je souris de toute mes dents
en pensant à tous mes fameux voyages
je voulais aller à NewYork ou à Buenos Aires
connaître  la neige de Moscou
partir un soir à bord d’un paquebot
pour Madagascar ou Shang-haï
remonter le Mississipi
je suis allé à Barbizon
et j’ai relu les voyages du capitaine Cook
je me suis couché sur la mousse élastique
j’ai écrit des poème près d’une anémone sylvie
en cueillant les mots qui pendaient aux branches
le petit chemin de fer me faisait penser au transcanadien
et ce soir je souris parce que je suis ici
devant ce verre tremblant
où je vois l’univers
en riant
sur les boulevards dans les rues
tous les voyous passent en chantant
les arbres secs touchent le ciel
pourvu qu’il pleuve
on peut marcher sans fatigue
jusqu’à l’océan ou plus loin
là-bas la mer bat comme un cœur
plus près de la tendresse quotidienne
des lumières et des aboiements
le ciel a découvert la terre
et le monde est bleu
pourvu qu’il pleuve
et le monde sera content
il y a aussi des femmes qui rient en me regardant
des femmes dont je ne sais même pas le nom
les enfants crient dans leur volière du Luxembourg
le soleil a bien changé depuis six mois
il y a tant de choses qui dansent devant moi
mes amis endormis aux quatre coins
je les verrai demain
André aux yeux couleur de planète
Jacques Louis Théodore
le grand Paul mon cher arbre
et Tristan dont le rire est un grand paon
vous êtes vivants
j’ai oublié vos gestes et votre vraie voix
mais ce soir je suis seul je suis Philippe Soupault
je descends lentement le boulevard Saint-Michel
je ne pense à rien
je compte les réverbères que je connais si bien
en m’approchant de la Seine
                   près des Ponts de Paris
et je parle tout haut
toutes les rues sont des affluents
quand on aime ce fleuve où coule tout le sang de Paris
et qui est sale comme une sale putain
mais qui est aussi la Seine simplement
à qui on parle comme à sa maman
j’étais tout près d’elle
qui s’en allait sans regret et sans bruit
son souvenir éteint était une maladie
je m’appuyais sur le parapet
comme on s’agenouille pour prier
les mots tombaient comme des larmes
douces comme des bonbons
Bonjour Rimbaud comment vas-tu 
Bonjour Lautréamont comment vous portez-vous
j’avais vingt ans pas un sou de plus
mon père est né à Saint-Malo
et ma mère vit le jour en Normandie
moi je fus baptisé au Canada
Bonjour moi
Les marchands de tapis et les belles demoiselles
qui traînent la nuit dans les rues
ceux qui gardent dans les yeux la douceur des lampes
ceux à qui la fumée d’une pipe et le verre de vin
semblent tout de même un peu fades
me connaissent sans savoir mon nom
et me disent en passant Bonjour vous
et cependant il y a dans ma poitrine
des petits soleils qui tournent avec un bruit de plomb
grand géant du boulevard
homme tendre du palais de justice
la foudre est-elle plus jolie au printemps
Ses yeux ma foudre sont des ciseaux
chauffeurs il me reste encore sept cartouches
pas une de plus pas une de moins
pas une d’elles n’est pour vous
vous êtes laids comme des interrogatoires
et je lis sur tous les murs
tapis tapis tapis et tapis
les grands convois des expériences
près de nous près de moi
allumettes suédoises
          Philippe Soupault, Westwego, (1917-1922).
III- Quelques axes de lecture 
- La révolution surréaliste : L'effacement de la ponctuation 
- Le non-respect des règles de la versification traditionnelle 
- Une écriture libérée 
- Les influences reçues. Lautréamont : idole des surréalistes. Rimbaud " le voyant"
- L'ombre des amis de Soupault : André Breton, Louis Aragon, Paul Eluard , Tristan Tzara.
- Repérage et interprétation de figures de style : comparaison, métaphore, paradoxe, anadiplose, hyperbole, anaphore, etc.
IV- Insistons sur : 
" L'écriture automatique ( appelée aussi " pensée parlée" ou " écriture de pensée " ) est propre au surréalisme. Le poète transcrit fidèlement sans aucune préoccupation liée à la logique ou à la censure toutes les expressions et phrases qui se présente à lui."

10/12/2017

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